Il m’en aura fallu des semaines avant de pondre ce texte. Face à l’instabilité de mes idées, je me tais. Je préfère prendre une distance, le temps de les regarder de loin. Je m’assure que ce que je dis est en harmonie avec la personne que je suis. En harmonie avec ce que j’ai envie de partager et de créer.
Ce projet est pour moi celui d’histoires d’amour qui s’entremêlent. L’amour qui naît puis celui qui grandit. L’amour que je transmets à travers la passion de mon travail et celui que je donne sans compter à ceux qui m’entourent. Mais l’amour surtout, qu’on a pour soi-même. Celui pour lequel on travaille toute notre vie parce qu’il n’est jamais tout à fait acquis. Trop souvent, je m’oublie. Je me perds dans le regard des autres à vouloir plaire, à vouloir éviter à tout prix d’être jugée durement.
S’aimer. D’abord et avant tout. Pour être confiant et ensuite offrir au monde ce qu’il y a de plus beau en nous.
Un feuilleton
L’histoire que j’ai envie de vous raconter débute en même temps que la pandémie. J’étais déjà habituée à travailler de chez moi, mais plusieurs voisins étaient nouvellement à la maison à temps plein. Puis, depuis quelques jours, il y avait ce papa qui passait devant mon adresse accompagné de ses 3 p’tits schtroumpfs. Je me cassais le cou de la fenêtre de mon bureau pour l’espionner à marcher le plus loin possible! Mais un papa vient souvent avec une maman et je n’envisageais pas de faire un pas vers lui. Ça faisait du bien à mes yeux, c’est tout. Moi qui n’avais pas vu de potentiel en personne depuis longtemps, c’était un p’tit bonbon ambulant.
Puis, il y a eu cette journée où je jouais dehors avec mon poussin et que le papa s’est drôlement attardé en face de chez moi. Le lendemain soir, j’avais un mot dans ma porte. Une invitation à entrer en contact avec lui.
J’ai pris le temps de réfléchir et j’ai hésité. Beaucoup. J’étais bien seule. J’avais ma routine, mon équilibre. Mon temps était déjà bien occupé. Où c’est que j’placerais un homme dans mon horaire?! Pourquoi risquer de déstabiliser tout ce qui m’avait pris tant d’années à bâtir?
Peut-être parce que j’suis une rêveuse. Comme tous les clients que je rencontre qui ont leur rêve d’une maison parfaite pour eux. Comme tous les clients que je rencontre qui ont encore des étincelles d’amour dans leurs yeux à créer un projet commun. À quelque part au fond de moi, même si l’idée de vivre un deuil amoureux m’angoissait, celui de bâtir une équipe avec quelqu’un qui me complémenterait, la dépassait.
C’est donc rusé comme un renard, élégant sur ses pattes élancées et sa fourrure couleur rouille, arborant sa chemise signature carreautée rouge-bleue-blanche et sa petite meute le suivant de près, que Mister Fox s’est faufilé dans ma vie.
Ma montagne
Douze années avant, j’avais entrepris de prendre soin de moi. T’sais, prendre soin de mon âme. Parce que j’avais mal. J’me sentais vulnérable, j’me sentais brisée, frustrée d’une enfance aride. J’étais sans cesse en quête d’amour des autres. Pourtant, rien ni personne ne me rassasiait. Après une énième déception amoureuse et l’accumulation de vides amitiés, j’ai commencé à me soupçonner d’être la raison de mes échecs. C’est là que j’ai choisi d’en parler à mon médecin.
Elle m’avait dirigée vers les soins d’un psychologue, mais en attendant mon premier rendez-vous, elle m’avait aussi conseillé un livre. Et cette lecture a été le point de départ d’une longue ascension. En 2008, j’ai commencé à marcher au pied d’ma montagne. J’me sentais prête à faire la randonnée.
Je n’étais pas si confiante. Je ne savais pas trop où je m’en allais. Je n’avais pas pour objectif de me rendre à un point précis. Je savais simplement que j’en avais assez de mal feeler. Juste de faire un pas en avant, ce serait déjà ça.
Il y a des années où j’ai fait de grandes enjambées. Il y a des mois où je ressentais le besoin d’arrêter. Il y a des jours où je m’sentais aussi bas que je l’étais au départ. Pourtant, tranquillement, je faisais mon chemin vers plus de liberté.
La liberté d’être responsable de comment je me sentais. La liberté de vivre sans attendre que qui que ce soit remplisse un vide qui ne lui appartenait pas.
Oui, c’est une lourde responsabilité. Mais tellement plus légère que lorsqu’elle est entre les mains des autres!
Et puis j’ai fait le choix. J’ai choisi que le trou dans lequel j’avais tendance à tomber ne me définirait pas. L’ascension de la montagne que je grimpais en revanche le ferait.
J’ai choisi que de chacun de mes pas et que de moi, je serais fière.
La poursuite du bonheur
Quand j’ai rencontré Fox, je me suis reconnu en lui une décennie plus tôt. Il me paraissait aussi fragile, autant égaré. Il errait d’un terrier à l’autre sans trop savoir ce qu’il allait y chercher. À mes yeux, pourtant, sa quête me paraissait claire: Mister Fox cherchait à être aimé et semblait convaincu que l’amour se cachait toujours chez quelqu’un d’autre.
Oubliant de nourrir son cœur de son propre amour, ce qu’il avait à offrir se résumait à un mirage. À chaque fois que je m’en approchais, il disparaissait. Rendue à lui, l’illusion se dévoilait à moi : la terre que je visitais avait finalement peu à offrir. Son hôte n’avait jamais cru bon d’y planter des arbres.
J’me suis attachée à cette personne comme s’il était le reflet d’une version de moi-même qui était disparue depuis un moment. J’ai eu envie de prendre soin de lui comme si je veillais sur moi, venue du passé. En tenant sa main, je tenais la mienne. Peu importe les conneries qu’il pouvait faire, je m’sentais incapable de la lâcher.
Parce que sa main c’tait aussi la mienne. Si je n’lui pardonnais pas, j’avais l’impression de ne pas me pardonner.
De tout mon cœur, j’avais envie de le voir confiant. J’avais envie de le voir libéré. J’avais envie de l’accompagner à grimper sa montagne. Je connaissais la voie! Je l’avais déjà fait! Déjà, je préférais l’idée que je me faisais de Mister Fox que Mister Fox lui-même. Déjà, je vivais un peu moins pour moi.
Si j’y tenais tant aussi, c’est parce que Fox représentait un idéal à mes yeux. Rapidement, on a développé une complicité que j’aurais voulu partager quotidiennement avec lui. Les échanges qu’on avait dès le début me laissaient croire que les blessures qui nous unissaient avaient forgé les mêmes espoirs, les mêmes valeurs. On avait du plaisir à partager toute sortes d’activités et on était tous les deux super intéressés à la carrière de l’autre. Puis, les enfants qui l’accompagnaient aidaient drôlement à panser mes plaies d’une famille brisée. La famille que j’avais vainement tenté de bâtir avec le papa de mon enfant. Mais aussi, mais surtout, la famille écorchée de mon enfance. Celle qui me donnait encore une impression d’être incomplète. Mon talon d’Achille.
Il avait du travail à faire sur lui-même? Bah! On a du travail à faire sur soi toute notre vie. Pourquoi ne le ferait-il pas avec moi?
Parfois, je pense qu’on tombe peut-être trop amoureux d’un rêve et que chaque poussière d’éléments potentiels prend plus de place que les pierres qui se dressent devant le chemin. J’imagine que c’est ça l’amour qui rend aveugle.
Bien qu’il avait été l’instigateur de cette rencontre, il remettait sans cesse en doute s’il était prêt à se commettre et faire un bout de chemin à mes côtés. Aucune liaison ne lui suffisait. Quand il n’avait plus l’amour de l’une, il était prêt à sacrifier l’amour de l’autre. Ne pas être l’Être aimé lui était insupportable. J’avais beau me retirer du chaos, Mysterious Mister Fox persistait à revenir vers moi.
C’est un cirque qui dura des semaines. J’en ai perdu des cheveux, mon cycle menstruel et mon sommeil ont été massacrés pis j’me suis remise à avoir des boutons comme une adolescente.
Insidieusement, dès le moment où Fox m’a attirée dans son terrier, je me suis mise à glisser doucement jusque dans mon trou que je croyais sécurisé.
L’automne
Septembre arriva et j’allais faire la rencontre d’amoureux, Gisèle et Sam. Ils avaient le projet de bâtir leur première maison. Ce rendez-vous aurait pu me désoler encore plus de ce que je vivais. Pourtant, ça a toujours eu l’effet contraire sur moi. Mes clients me font rêver, chaque fois!
Les voir fébriles à l’idée de concevoir leur maison avec moi ça réveille mon optimisme amoureux! Quand je vous rencontre, jeunes tourtereaux ou complices de pré-retraite, tout d’un coup ça m’rappelle que malgré les gros défis qu’on s’donne parfois, ça s’peut un couple harmonieux qui passe à travers les tempêtes.
J’ai été rejoindre Gisèle et Sam au sommet de leur montagne près d’un beau village dans les Laurentides. Là où après quelques années d’esquisses, ils avaient choisi d’implanter leur histoire. Ils sont arrivés avec leur toutou d’amour, Zermatt. Et déjà, mon cœur s’est mis à battre pour leur projet. Zermatt, ce petit village chouchou de ma grand-maman, là où mon papa avait fièrement escaladé le Cervin. C’était aussi un rêve de voyage à Gisèle et Sam dont ils avaient donné le nom à leur chien. Nos histoires se croisaient si bien.
Peu de temps après notre première rencontre, alors que j’étais en train de travailler à la création de leur maison, Sam m’a contactée pour me demander de lui envoyer personnellement la première proposition des plans préliminaires. Il me demandait de garder le secret envers Gisèle. Il s’apprêtait à faire la grande demande et souhaitait l’accompagner du travail que je préparais pour eux. Quel honneur j’ai eu d’avoir cette place privilégiée dans leur histoire!
Du haut de leur montagne, avec derrière eux tout le chemin qu’ils avaient accompli ensemble, avec devant eux un avenir à dessiner, là physiquement où Gisèle et Sam préparaient la construction de leur repère d’amour, ils ont cristallisé leur équipe.
Gisèle, Sam, je vous souhaite un bonheur infini dans cette maison que j’ai conçue en pensant à tous vos besoins. Je m’y suis imaginée y vivre pour m’assurer que tout y était. J’ai pensé y planter des fleurs et me préparer un café. Je vous ai imaginé jouer avec vos enfants qui n’existent encore que dans vos projets. Je vous ai deviné vous réveiller dans vos quartiers douillets. Je vous ai créé des espaces pour recevoir et partager des moments avec les gens que vous aimez. Tout l’amour et les attentions que j’ai mis dans votre projet, j’espère qu’ils vous envelopperont d’une maison réconfortante dont vous serez fiers.
Quelques jours après la grande demande de Sam, Mister Fox a fait les quelques pas qui le séparaient de chez moi pour venir enterrer la hache de guerre. « Je veux arrêter de varger sur nous Annie. Tu es parfaite pour moi. J’peux pas m’imaginer de meilleure personne avec qui cheminer. J’suis désolé de t’avoir emmenée dans toutes ces montagnes russes. Je t’aime. Would you like to be my girl? ».
Et comme Gisèle, j’ai dit oui. Parce que j’aime rêver et que je n’avais plus envie de rêver seule. Parce que mon désir de croire en ce rêve était si puissant que tous les signes que la réalité m’envoyait, je les recevais dans un brouillard. Confuse entre les peurs qui résonnaient de mes blessures passées et celles bien fondées qui émanaient d’un manque profond dans le cœur de Fox.
Et c’est dans ce contexte d’amour se solidifiant d’un côté et naissant laborieusement de l’autre que le projet de la maison Bayliss-Marquez a grandi.
Le renard à la patte cassée
Rapidement, j’ai réalisé que mon renard était plus blessé qu’il ne le laissait paraître. Plus les semaines passaient, plus il se rétractait. « Ultimement, j’veux courir avec toi Annie, mais je l’sais pas pourquoi, aujourd’hui, j’me sens pas bien ». Et le lendemain, ce n’était pas mieux. La semaine d’après non plus. Puis le mois suivant, finalement, je l’sentais encore plus loin.
À chacun de ses doutes, je faisais preuve de compréhension. À chacune de ses peurs, j’écoutais avec douceur. À chacune de ses hésitations, je témoignais de la souplesse.
« Je sais pas c’qui s’passe avec moi Annie, j’feel pas bien ». « Bin va voir quelqu’un Fox! Trouve de l’aide! J’peux bien être à l’écoute, j’peux te conseiller du mieux que j’peux avec mon expérience, mais j’suis pas outillée pour t’aider à ce point! »
Mais Mysterious Mister Fox préférait s’en tenir à lui-même. Je n’y comprenais rien et la situation ne débouchait nulle part. Pourtant, je persistais à rester. Pour le rêve? Oui, bien sûr. Mais aussi parce qu’à mes yeux, il n’y a personne ni de projet parfait.
À mes yeux, les projets ça se travaille et ça se réfléchit avec souplesse.
La maison
Le projet Bayliss-Marquez n’a pas été créé d’un seul trait. Les demandes de Gisèle et Sam étaient nombreuses et les premières esquisses que je leur ai présentées comportaient beaucoup trop de pieds carrés. J’étais tiraillée entre leur préparer une proposition qui représentait toutes les pièces et éléments qu’ils voulaient ou respecter la quantité de pieds carrés qu’ils m’avaient demandé. À ce stade, ni l’un ni l’autre n’avait eu connaissance des plans et je me doutais bien que Sam tiendrait à consulter sa fiancée pour prendre ce genre de décision.
Depuis, j’ai ajusté le service que j’offre à mes clients et devant un dilemme pareil, on se rencontre en vidéo conférence pour que je partage mon écran et leur étale les problématiques. C’est sûr qu’il n’y a plus de surprise amusante quand je partage la première proposition, mais au moins l’excitation ne peut être assombrie par la déception de réaliser que tous leurs souhaits ne peuvent coexister sous un même toit.
Le projet a aussi nécessité des ajustements majeurs au niveau de la toiture. La pandémie ayant entraîné une hausse pharamineuse des prix des matériaux de construction, il était impératif de couper dans les détails les plus complexes. Plusieurs fois, je suis retournée à la table à dessin pour ajuster des plans qui se rapprochaient de plus en plus de l’équilibre que Gisèle et Sam cherchaient entre la vision de leur maison de rêve et leur budget.
L’image 3D que je vous présente de leur maison ce n’est pas seulement un rendu photo réaliste. C’est le rêve de leur maison d’abord, mais c’est aussi beaucoup la vision de mon rêve. Dans cette image se cachent des histoires. Celles de Gisèle et Sam bien sûr, mais les miennes aussi. Le projet a commencé à l’équinoxe qui suit l’été, mais c’était également le début d’une histoire plus douce avec Mister Fox. Mon homme aux couleurs d’automne que je trouvais si beau. C’était aussi parallèlement le moment où je pensais que je pourrais commencer à bâtir quelque chose avec lui. Je dessinais une maison extraordinaire pour Gisèle et Sam pendant que je rêvais aux côtés de Fox à esquisser un avenir.
Cette image et ce projet, c’est aussi ce que ça représente pour moi. Un projet que j’ai pas tous les jours trouvé facile, mais que quand j’le regardais ça valait tout le temps et l’énergie que j’y avais mis.
« Lights will guide you home
And ignite your bones
And I will try to fix you”
– Coldplay
Dans cette maison se cachent plein de secrets. C’est c’qui la rend si chaleureuse et accueillante. Derrière une des fenêtres de la maison, Sam est en train de jouer avec les enfants. Juste à côté d’eux, sa fiancée est avec un autre p’tit chat au grand ilot de la cuisine. Ils préparent une tarte à la citrouille. Le chien exprime sa joie tout autour d’eux. Mmmm, ça sent trop bon le bonheur! Ils attendent impatiemment Grand-papa et Grand-maman qui arrivent de Mont-Saint-Hilaire passer une semaine avec eux. Le temps frais est tombé. Fidèle à ses habitudes, Sam s’occupe de préparer un feu et passe à la cuisine enlacer sa femme. Celle avec qui il se sent si bien.
C’est le repère d’une famille qui partage des tonnes d’anecdotes. La plupart font rire et font du bien, mais il ne faut pas se leurrer, certaines font aussi pleurer et crier.
Abrille-moi s’il te plaît
Sandra Léveillé, créatrice de déco thérapie, a écrit : « L’amour est un refuge… Là où la peur s’efface le bonheur prend place. Dans cet abri, que de moments chéris ».
Qui ne cherche pas une maison dans laquelle se sentir à l’abri des tempêtes? Qui ne cherche pas une demeure pour en faire son repère sécurisant? Qui ne cherche pas une famille douce et aimante avec laquelle se réfugier? Beau temps, mauvais temps?
Avec les débuts parsemés d’interruptions que Fox m’avait offerts, je suis restée sur mes gardes longtemps. Bien sûr, elles se sont estompées au fur et à mesure que les mois passaient. Pourtant, une petite voix s’acharnait à remettre en doute le rêve que je souhaitais former avec lui.
Pourquoi cette triste façon de ne pas garder la tête haute? Comme si un poids pesait sur sa conscience. Pourquoi est-ce qu’un malaise constant semblait émaner de lui? Comme si des remords empêchaient sa fierté de briller.
Est-ce que j’interprétais mal la personne qu’il était? Quand je prenais le temps d’être honnête avec moi, je sentais que notre union manquait trop d’harmonie pour quitter mon petit nid et en former un nouveau à ses côtés.
C’est à l’aube des derniers moments que j’ai eu près de lui que j’ai fini par déceler qui était mon Mysterious Mister Fox. Pourquoi agissait-il de façon aussi incohérente à mes yeux? Pourquoi s’éloignait-il au lieu de se rapprocher de moi? Pourquoi ses bottines suivaient pas ses babines?!
Quand la tête est loin du cœur
Si j’avais le privilège d’écrire un personnage dans la collection des Monsieurs-Madames, le mien serait Monsieur Tête. Il serait orange, aurait une tête carrée sur un cou très long en tire-bouchon qui le séparerait d’un rectangle (avec des bras et des jambes!) sur lequel il y aurait une porte. Dans mon récit, il serait démontré que derrière cette porte se cache un cœur, mais que Monsieur Tête y a un accès limité à cause de la forme de son cou qu’il tient volontairement entirebouchonné. « Ahhh, c’est trop compliqué à démêler ce cou! » qu’il prétexterait. Les enfants comprendraient rapidement que mon personnage a peur de ce que son cœur peut lui faire vivre et lui apprendre sur lui-même.
Quand il voit quelqu’un qui fait battre son cœur, sa tête en est tellement loin qu’il n’arrive pas à saisir d’où cette émotion lui vient. Sa confusion l’emmène à agir impulsivement. « Mon cœur m’envoie un message! me semble que c’est d’l’amour, faut que j’aille partager ça! » se dirait-il systématiquement sans trop réfléchir aux ricochets de ses actions.
Parce que d’aussi loin, coincé dans l’embouteillage de son cou, il ne percevrait pas trop les nuances des signaux de son cœur. Et quelque temps plus tard, Monsieur Tête se retrouverait souvent choqué de ses agissements, remettant en doute ses propres dires. « Shit, j’comprends pas pourquoi j’ai fait ça? » (Bon ok, si c’était un livre pour enfants, y dirait pas « shit »).
Il faut savoir aussi que Monsieur Tête aime particulièrement Madame Contrôle. Ils ont même eu quelques enfants ensemble. Vous savez celle qui dit à tout le monde où aller avec ses panneaux de signalisations? Non? À l’existe pas? Bon bin moi j’viens de l’inventer. Elle souhaite tout contrôler parce qu’elle est convaincue que ce sont les autres qui causent son malheur – ou son bonheur. Mais ça, Monsieur Tête n’y voit que du feu. Malgré leurs multiples tentatives avortées de créer un couple, il est bien avec Madame Contrôle parce que lui-même ne sait pas où aller. Avec elle, il a une impression de sécurité.
Pourtant, Monsieur Tête est nouvellement l’amoureux de Madame Bonheur. Pourquoi? Parce que ses qualités sont nombreuses et que sa tête lui dit que c’est l’bon choix. Il l’aime parce qu’à ses côtés, il se sent bien. Elle apaise le malaise qu’il vit d’être aussi incohérent.
Certains diront peut-être qu’il est apathique. Et en apparence, oui c’est vrai Monsieur Tête peut sembler vide. Mais dans ses yeux, moi j’ai vu. Je l’ai vu la profondeur de son cœur. Et c’est ce que j’ai aimé dès le début. J’y ai cru. C’est ce qui m’a rattaché à lui à toutes les fois que j’ai été déçue.
J’étais convaincue que j’lui donnerais envie de démêler son cou.
Tu seras peut-être déçu, mais sans doute peu surpris d’apprendre que trois mois après avoir commencé à être son amoureux, Madame Bonheur ne suffit plus à Monsieur Tête. Le baume qu’elle apporte sur sa vie chaotique ne l’assouvit plus. Serait-il finalement retourné se réfugier dans sa sécurité?
Incapable de choisir entre Madame Contrôle et Madame Bonheur. Tiraillé entre ce que sa tête lui disait et les battements de cœur qu’il ressentait pour l’une et l’autre sans en comprendre l’origine. En constante quête d’être aimé parce que lui-même était incapable de nourrir son propre cœur, Monsieur Tête n’a pu faire autrement que de vivre des mois dans le déni et les mensonges.
Et pourquoi en venons-nous à mentir aux autres si ce ne n’est que parce qu’on est si inconfortable avec qui nous sommes?
Le cri du repère
Quelques semaines avant que le pot aux roses ne me soit dévoilé, j’en ai eu assez. À quelque part au fond de moi, une petite voix me chuchotait que cette relation ne tournait pas rond. Je ne trouvais pas d’espace pour m’épanouir et malgré toute l’énergie que je partageais, très peu m’en était offerte. J’en ai mis mes passions de côtés, j’ai négligé mon chez-moi, je n’étais plus aussi présente à mon fils et à mes amies. Toute mon énergie était canalisée à comprendre et aider Fox à mieux feeler.
Parce que s’il se sentait bien, est-ce que je pourrais enfin accéder à mon rêve?
J’étais convaincue que si une dizaine d’années plus tôt j’avais découvert le chemin pour me sentir bien alors je pourrais guider Mister Fox à suivre le même. Mais pourtant. Chacun a sa propre montagne. Chacun fait son propre chemin. Le mien a été parfait pour moi! Parce qu’il a été sinué selon mon regard sur la vie et mon interprétation de tous les événements qui l’ont forgé.
Tel chacune des maisons personnalisées que je crée, les cheminements personnels sont propres à chacun. Pour s’y sentir bien, ils doivent être dessinés selon la vie de ceux qui l’habitent.
Il était temps que j’me retrouve. Il était temps que j’arrête de faire des pieds et des mains pour un rêve que Fox prétendait n’être en mesure de vivre que à manné. Je lui ai donc posé un ultimatum. « Fais un pas vers moi. Va trouver de l’aide professionnelle pour démêler c’qui se passe entre ta tête et ton cœur et je resterai le temps que ça s’éclaire un peu plus pour toi ». Si Fox ne voulait pas prendre la main que je lui tendais pour l’accompagner alors je débarquerais.
Le retour dans ma maison
La fin a donc fini par arriver. Par texto. Bête de même. Égal à toutes les marques d’évitement que Fox avait témoignées, il a tiré sa révérence avec quelques lignes. Pourquoi avait-il tant de difficulté à agir avec fierté? Son cœur était-il si vide d’amour-propre qu’il n’avait rien à perdre? Aucun honneur face à ses paroles passées, ni intégrité en relation avec ceux qu’il prétend aimer?
Le lendemain, j’ai finalement pris les jambes à mon cou et j’me suis enfuie tout droit vers une retraite au spa Eastman. J’avais un besoin impératif de prendre soin de moi et de respirer dans la douleur. Le plus loin possible de la rue du Terrier siouplait. J’étais essoufflée, vidée, mais malgré la tristesse que je vivais, j’étais soulagée. Enfin, j’avais l’espace pour me retrouver.
Depuis le soir que Mister Fox avait accroché sa petite invitation sur ma porte, je l’avais laissé envahir le sanctuaire que je m’étais si finement construit. Mes limites étaient nonchalantes, mon rêve m’aveuglait et je le laissais généreusement régler le rythme de chacun de nos pas. J’étais épuisée de m’être autant négligée.
Pour le temps d’un week-end, donc, j’ai tourné mon regard vers les montagnes des Cantons-de-l’Est. Sur mon chemin, celle de Mister Fox m’apparaissait parfois dans un virage et disparaissait au suivant pour finalement ne plus laisser de place à mon regard que la seule qui devait être importante pour moi à ce moment : la mienne.
C’est in extremis que je me suis offert une rencontre en face-à-face avec moi-même. Pour me raisonner à travers le brouillard que j’avais laissé se former dans ma vie et trouver un apaisement dans le tourbillon que peut créer une séparation. Entre les bains chauds et les saunas, j’me suis enveloppée dans une couverture en polard carreauté (jaune-bleu-rouge celle-là) et j’ai porté mon attention à toutes les beautés et la paix qu’il y avait autour de moi. Mais surtout, en moi.
J’ai fait mon possible pendant ce moment de tranquillité pour ne pas anticiper mon retour qui se ferait trop rapidement. La présence de Fox devra inévitablement faire partie de mon quotidien. Est-ce que je serai assez forte pour ne pas accorder d’importance aux allers et venues qui se passent à son adresse? Est-ce que je serai assez détachée pour éviter son regard quand on se croisera? Essaiera-t-il pour la je-sais-pu-trop combientième fois de reprendre contact avec moi?
Oui. Je savais qu’il le ferait. Je connais trop bien mon renard. Il a un besoin insatiable d’amour. Mais est-ce que je lui répondrais? J’avais peur de ma réponse. Je me connaissais trop bien. Quand j’aime, c’est à l’infini. Peu importe les conneries qu’il avait faites, sa main serait pendant longtemps l’image de la mienne.
N’empêche qu’un jour ou l’autre, je devrais finir par vivre mon deuil aux côtés de ce qui ne peut plus exister.
Lundi, quand je reviendrai, le premier coup de pelle sera donné pour ériger les fondations de la maison Bayliss-Marquez et je ne peux m’empêcher de continuer à observer le parallèle avec mon histoire. Alors que Gisèle et Sam passeront à la page suivante de leur projet, je tournerai aussi une page du mien. Une page dans laquelle Mister Fox ne sera plus qu’un figurant. Une page dans laquelle je retournerai prendre soin de moi pour être encore plus présente qu’avant aux gens qui m’entourent. Une page pour solidifier mes fondations.
Fix you
Fak, c’est quoi que j’disais donc? Ah oui. Se construire un repère d’amour.
Un repère, c’est un endroit clé que l’on peut retrouver quand on se sent perdu. C’est un endroit sécurisant où l’on se réfugie quand on ressent le besoin d’être protégé.
Un repère, c’est l’endroit d’où la lumière émane pour nous attirer dans la pénombre.
Ça peut être une maison, mais ça devrait surtout être soi-même. Quand sous notre propre toit, on est à la merci des tempêtes, c’est qu’il faut fortifier sa structure.
J’ai attendu longtemps que quelqu’un vienne faire le ménage chez moi. J’espérais qu’on vienne y planter des fleurs et décorer selon mes goûts. Je m’attendais à c’que quelqu’un passe réparer la gouttière et le robinet qui coulait. Mais personne ne venait cogner à ma porte. Je n’avais pas grand-chose à offrir d’autre que des tâches à accomplir.
Fox, my not so Mysterious anymore Smoothie Mister Fox, je regrette de n’pas t’avoir rencontré au sommet de ta montagne. J’espère de tout mon cœur que tu vis beaucoup de colère et de tristesse en mon absence. Tu penses que j’te souhaite d’être malheureux? Nah… c’est pas mon genre. J’espère que tu te retrouves au fond d’un trou si profond qu’il marquera un tournant dans ta vie. Que tu vas graber ta gourde, tes Hoka, pis ton courage à 2 mains pour amorcer ton ascension et que tu choisiras de devenir une plus belle version de toi-même. Pour toi. Juste pour toi.
Y’a une belle personne en chacun de nous. I believe in us que James Bay a dit.
Et je me permets d’ajuster un peu ses paroles: « I hope everyone will find a way to be in this world. How to breathe in and feel no hurt ».
Et si tout l’monde apprenait à s’aimer en même temps qu’il apprenait à marcher? Et si tout l’monde se construisait son propre repère d’amour pour illuminer ceux qui passent le visiter?
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